La pensée grecque subit, avec Saint Agustin, une revision soigneuse. Dans ses écrits, le Dieu biblique, en séloignant de
lActe Pur aristotélique, sinstalle dans lhistoire individuelle et collective des hommes. La perfection se déplace de l
homme idéal platonicien au Dieu grand , digne de louange, puissant, sage. Lhomme, au contraire, reçoit le nom de
mortel. Comme celui-ci, Dieu est personnel. Augustin, dans les Confessions, sadresse directement à lui et lappelle tu.
Vu que lhomme a été fait à limage de Dieu, le Créateur, siège de la perfection, exerce une séduction forte sur la
créature au point dobscurcir dautres intérêts. Les yeux sélèvent des lacs, des richesses, des beautés pour se
concentrer en Dieu, lumière suprême. Où faut-il le chercher, en soi où hors de soi? En soi, parce que, étant shumanisé
en Jésus Christ, il entra dans la vie de ceux qui le reçoivent; hors de soi, parce que le fini ne contient pas linfini. Dans
cette ambiguité vivent ceux qui répondent à lappel de Dieu.
Le Narcisse qui a donné lorigine à lère industrielle fut conçu par Descartes. Lhomme cartésien, transparent à
soi-même, certain de la supériorité que la raison lui accorde, assume la direction du monde. En règnant
despotiquement, il dirige les états, exploite la nature, élabore des arguments qui soutiennent la souveraineté de Dieu.
Lhomme cartésien se divise, puis, dans le calcul sadique qui commande les rélations érotiques et limpulsion intérieure
qui pousse les héros de Stendhal à des ambitions sans limites.
Lexistence du héros cartésien na pas duré longtemps. Il saffaiblit frappé par lexercice de la raison lui a donné
lexistence. Éclairé, disséquant dune manière profane des cadavres, l homme observa dans la mort les traits de sa
propre physionomie. La mort est son miroir, pas dieu comme autrefois. La disparition des civilisations du passé le
poussa vers la découverte de lhistoire. Lenquête des espèces exterminées lui a suggéré la théorie de la transformation
universelle. La philologie est née de la mort des langues. Dès que la mort avait envahie tous les domaines du savoir, il
na pas été difficile à Nietzsche de proclamer à la fin du dernier siècle la mort de lhomme et par conséquent la mort de
Dieu, soutenu par les arguments de lhomme.
La mort, nétant plus un horizon externe comme autrefois, pénètre dans la substance de ce que nous sentons, pensons
et sommes. Heidegger, inséré dans cette tradition, definie lhomme comme étant-pour-la-mort. Comme tel, lhomme,
en abandonnant des préoccupations métaphysiques, se lie à sa propre finitude, la seule façon de vivre la vie dune
manière responsable, conçue comme une lutte quotidienne engagée contre le dégât. Léternité qui reste est celle dont
nous jouissons dans la minute qui écoule sans passé ni avenir, moment fugace où lunivers sillumine. Si au début du
dernier siècle les romanciers se rendaient toujours à des descriptions minutieuses à la manière de Balzac dans lillusion
que lobservation attentive pourrait épuiser la connaissance de lobjet, ceci narrive plus dans les mouvements qui
poussaient les arts dans une autre direction à la fin du siècle dernier et à laurore de ce siècle-ci. À la place de
lobservation aiguë, Baudelaire inaugure la vision fugace, le temps mine la solidité de lespace, le passage rend vite
impossible lobservation attentive. Les mots reculent dans les expériences de Mallarmé. Le discours copieux se réduit à
un seul mot dans la poésie concrète. Des avant-gardes, en balayant les mots de la page imprimée, recourent à limage
picturale pour les remplacer.